Le sodium ou sel

  • Pendant des années, les autorités sanitaires ont nié qu’un excès de sel soit néfaste pour la santé.
  • Ils ont ensuite fini par l’admettre mais n’ont rien fait pour y remédier.
  • Retour sur une saga. 
                                                                     
                             
Depuis 20 ans, l’idée, partagée au plus haut niveau de l’Etat, que les effets du sel sur la santé sont mineurs est défendue par de nombreux chercheurs au premier rang desquels figure le Pr Tilman Drüeke, de l’Inserm. Le Pr Drüeke est l’auteur du chapitre sur le sodium dans l’édition de 1992 des Apports nutritionnels conseillés pour la population française qui donne à l’époque la vision officielle des autorités sanitaires sur l’alimentation et la santé. On y lit que seuls 30 à 40% des hypertendus sont, pour des raisons génétiques, « sensibles au sel ». Au médecin de les dépister. Les autres, malades ou pas, « peuvent continuer à consommer la quantité de sel qu’ils ont l’habitude et le plaisir de manger. »
 Pourtant, dans le même temps s’accumulent de nombreux travaux qui incriminent l’excès de sel non seulement dans l’hypertension mais aussi les cardiopathies, le cancer de l’estomac ou l’ostéoporose.
En octobre 1998, le sénateur PS du Territoire de Belfort, Michel Dreyfus-Schmidt interpelle le ministère de la Santé sur les risques liés à la surconsommation de sel. Il faudra un an au ministère pour y répondre. C’est la secrétaire d’Etat à la Santé Dominique Gillot (nommée en juillet 1999), qui le fait le 21 octobre : l'impact du sel sur l'hypertension est minimisé, sur la base d’un article d’un spécialiste américain, le Dr David McCarron. Or David McCarron est un consultant rémunéré par le Salt Institute, l'association qui regroupe les principaux producteurs de sel dans le monde. Il entretient aussi les meilleurs rapports avec le géant du snacking Frito-Lay qui vend notamment des chips salées.
A partir de 1998, les autorités sanitaires entreprennent la rédaction des nouveaux Apports nutritionnels conseillés pour la population française prévus pour la fin 2000. Une tâche qu’il revient à la nouvelle Agence de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) de mener à bien. Pour rédiger le chapitre « sodium », l’Afssa renouvelle sa confiance au Pr Drüeke et à l’un de ses collaborateurs. Leur contribution, remise au début de l’année 2000, reste très rassurante. Ces experts écrivent notamment que l’hypothèse selon laquelle le sel pourrait favoriser les maladies cardiaques, l’ostéoporose, l’asthme et le cancer de l’estomac « n’est pas vérifiée » lorsque la consommation quotidienne de sel ne dépasse pas 12 g/j. Comme ils évaluent la consommation des Français à 7 à 9 g par jour, il est inutile de diminuer les apports en sel pour la population générale. Ils concluent leur texte par un coup de patte destiné à leurs adversaires dans ce dossier sensible. « Pour la plupart des scientifiques, concluent-ils, le rôle des apports élevés de sel dans la pathogénie de l’hypertension artérielle est loin d’être démontré, même si certains continuent à le considérer comme établi. » Le texte a le label de l'Afssa. Il reflète donc la position officielle.
Parmi ces « certains » qui visiblement s’égarent, est cité un certain Pierre Meneton, autre chercheur de l’Inserm, connu avec l’ancien directeur général de la santé Joël Ménard, pour ses positions anti-sel et anti-lobby du sel.                          

                                            
La polémique
Pierre Meneton adresse de son côté à l’Afssa un dossier scientifique accablant sur les conséquences de la surconsommation de sel en France, qui contredit presque point par point la version entérinée par l’agence. Selon Pierre Meneton, en effet, chaque Français ingère 4 kg de sel par an, soit deux fois la dose limite fixée par l’Organisation mondiale de la santé et bien plus que les estimations de Drüeke. Coupable : l’industrie agro-alimentaire. En effet, 80% de ce sel est ajouté par les industriels aux aliments à notre insu. L’excès de sel, argumente le chercheur, études à l’appui, est responsable chaque année en France de 75 000 accidents cardio-vasculaires dont 25 000 décès.
A l’Afssa, c’est l’embarras. Impossible sans se renier de censurer les recommandations du Pr Drüeke. Mais difficile de passer sous silence les études citées par Pierre Meneton. L’agence choisit une position mi-chèvre mi-chou. Aux conclusions du Pr Drüeke, elle accole un « avis » rédigé à la hâte et très ambigu. L'agence explique que « le manque de certitudes scientifiques sur la consommation optimale de sel n'incite pas, à l'heure actuelle, à des recommandations définitives ». Dans le même temps, elle conseille pourtant aux Français de ne pas consommer plus de 6 à 8 g de sel par jour, ce qui, en l'absence d'étiquetage est illusoire. L'Afssa explique qu’il « n'apparaît pas nécessaire de lancer des campagnes publiques alarmistes et médiatiques sur le sel, au détriment d'autres enjeux de santé publique. » Et annonce qu'« un groupe de travail spécifique associant les industriels pourra être mis en place afin de poursuivre la réflexion sur le sujet. »
Pendant que l’Afssa tergiverse ainsi, Pierre Meneton trouve début février 2001 une tribune dans l’hebdomadaire Le Point. Les experts de l’Afssa, tout comme la secrétaire d’Etat à la Santé y sont accusés d’avoir cédé au lobby du sel. « Les experts français qui se sont penchés sur ce problème à l'Afssa et au ministère de la Santé, écrit-il, sont soit incompétents, soit irresponsables, soit servent un certain nombre d'intérêts industriels. » La polémique enfle aussitôt. Nommé le 6 février ministre de la Santé en remplacement de Dominique Gillot, Bernard Kouchner ne veut pas de cette controverse qui embarrasse le gouvernement, d’autant que l’opinion publique et les médias ont pris le parti de Pierre Meneton et des anti-sel.               
                                                            
En mars 2001, l’Afssa met donc sur pied un groupe de travail de 20 personnes, experts et représentants de l’industrie. Signe des temps, Pierre Meneton qui avait pourtant tiré à boulets rouges sur l’Afssa y figure en bonne place. Le groupe se réunira à 9 reprises, mais la cause est entendue. Au retour des vacances d’été, le rapporteur annonce au groupe de travail que celui-ci va recommander une réduction de 25% en 5 ans des apports en sel.
Pour permettre à Kouchner d’en faire l’annonce officielle, l’Afssa organise un colloque scientifique les 11 et 12 janvier 2002, sans y associer le groupe de travail, duquel seront écartés les chercheurs pro-sel. Pierre Meneton se voit en revanche confier la présidence d’une session. C’est la conférence des bonnes intentions. Car rien ne va vraiment changer.

La bataille de l’étiquetage
Parmi les pistes évoquées en 2002 par l’Afssa pour réduire la consommation de sel figure l’étiquetage des denrées alimentaires. De nombreux Français en effet veulent savoir ce qu’ils mangent, et faire des choix en fonction des étiquettes. Une réglementation imposant à tous les industriels de l’alimentation, y compris les boulangers, qu’ils indiquent sur leurs emballages la quantité de sel ajouté permettrait à chacun de décider ou non d’acheter les produits proposés. Cette règle est obligatoire dans de nombreux pays. Graham Mac Gregor, dans son livre Salt, Diet and Health donne l’exemple d’une étiquette d’un paquet de céréales pour petit déjeuner. Ces céréales contiennent 230 mg de sodium pour 21 g de céréales, soit l’équivalent de la salinité de l’eau de mer. De quoi réfléchir avant de passer à la caisse.
Devant la menace d’un étiquetage obligatoire, la toute puissante Association nationale des industries alimentaires (ANIA) monte immédiatement au créneau. Le 10 janvier 2002, tout en se déclarant officiellement favorable à une diminution de la consommation globale de sel, l’ANIA s’interroge à haute voix « sur la pertinence de la réduction de la consommation moyenne de la population générale, alors que seuls les sujets dont l’hypertension est directement liée à leur consommation en sodium et les très forts consommateurs, tireraient bénéfice d’une telle mesure. »
L’association propose, pour apparaître malgré tout constructive, quelques mesurettes comme celle « d’élaborer un guide de bonne pratique du sel et des conseils aux professionnels pour remplacer lorsque c’est possible le sel classique par un sel de substitution. » En revanche, elle s’oppose à l’étiquetage obligatoire de la quantité de sel ajoutée aux aliments. A cet étiquetage contraignant, l’ANIA préfère un étiquetage « volontaire » avec par exemple la mention suivante : « La teneur en sel (ou en sodium) de cet aliment a été étudiée avec soin (sic), il est inutile de rajouter du sel. » Comme si l’essentiel du sel ingéré par les Français ne provenait pas justement des aliments !
                                                                   
Dans le même temps, l’ANIA fait jouer ses relais politiques pour freiner des quatre fers. Avec 134 milliards d’Euros, l’industrie agro-alimentaire est en effet le premier secteur industriel français, loin devant l’automobile. Elle dispose de relais efficaces qui finiront de torpiller les bonnes intentions affichées par l’Afssa.  
                                               
Comment la loi de santé publique a « oublié » le sel
En avril 2001, alors député des Bouches-du-Rhône, le Pr Jean-François Mattéi s’était ému de l’affaire du sel. Il estimait que « le scandale du sel illustre le peu de cas qui est fait de la santé publique en France lorsqu'elle se heurte à un certain nombre d'intérêts économiques ». Le Pr Mattéi avait écrit au ministre de l’époque, pour lui demander « ses intentions en la matière et les autres mesures qu’il envisage de prendre afin de lutter contre ce grave problème de santé
Devenu ministre de la santé, le Pr Mattéi omet bizarrement d’aborder le sujet du sel dans le projet de loi sur la santé publique qu’il présente à la fin de l’année 2003 à l’Assemblée nationale. En première lecture, en octobre, deux amendements sont donc déposés par les groupes PS et Vert de l’assemblée nationale pour contraindre l’industrie à moins saler les aliments. Le ministre s’y oppose.
Le 19 janvier 2004, le texte est examiné par le Sénat. Alain Dreyfus-Schmidt, le sénateur qui avait déjà interpellé le gouvernement sur le sujet en 1998, propose avec Gilbert Chabroux, sénateur du Rhône, deux amendements. Ils prévoient respectivement un étiquetage de la teneur des aliments en sodium et l’objectif fixé à la loi de réduire de 4% par an le contenu en sodium des aliments. Visés en priorité : le pain et les produits de boulangerie, la charcuterie, la fromagerie, les plats pré-cuisinés. Le ministre délégué, Christian Jacob s’oppose dans un premier temps à l’amendement sur l’étiquetage sous le prétexte qu’un texte européen est en préparation avant de se rallier à la « sagesse » de l’assemblée. L’amendement est voté par le sénat. Le second amendement est lui aussi repoussé dans un premier temps par Jean-François Mattei en prétextant qu’un objectif de diminuer la tension artérielle a déjà été adopté. « Il est donc inutile, dit-il, d'ajouter votre objectif. » Finalement, sur l’insistance des sénateurs, le ministre laissera le Sénat adopter ces deux amendements. Cette bonne manière faite aux sénateurs socialistes n’engage en rien l’avenir puisque le dernier mot doit revenir à l’Assemblée nationale.  
         
                                                                le sel à utiliser à bon escient

De retour au palais Bourbon le 3 mars 2004, le projet de loi de santé publique, initialement lesté de 100 objectifs en compte donc désormais un de plus : la réduction de la consommation de sel et l'affichage de la teneur en sodium des aliments. Aussi surprenant que cela paraisse, le rapporteur Jean-Michel Dubernard va saisir le prétexte du « compte rond » pour supprimer les amendements du Sénat. En effet, le compte rendu n°33 de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales indique que les ajouts opérés au sénat ont été supprimés par le rapporteur parce qu’il voulait « s’en tenir à cent objectifs de santé publique. » Martine Billard réussit à réintroduire une partie de l'amendement sur le sel - celui portant sur la réduction de la consommation - dans la liste des 100 objectifs. "L'amendement 298, commente ce jour-là Martine Billard avec malice, est en quelque sorte un amendement désespéré, puisqu'il figure dans le tableau des 100 objectifs. Rappelons que les industriels de l'agro-alimentaire n'ont accepté de signer le rapport de l'Afssa sur la consommation de sel qu'à condition qu'il n'y ait aucune mesure réglementaire sur l'affichage de la teneur en sel des plats préparés. J'espère que le gouvernement saura faire pression sur ces industriels!" En réalité, les dispositions sur l'étiquetage sont bel et bien enterrées. Le 30 juillet 2004, le texte de loi sur la santé publique est adopté. Il prévoit les mesures que l'on sait pour accompagner la diffusion de messages publicitaires, et stipule simplement que "la réduction du contenu en sodium, essentiellement sous forme de chlorure de sodium (sel) dans les aliments, doit être visée pour parvenir à une consommation moyenne inférieure à 8 g/personne/jour (la consommation moyenne a été estimée en 1999 entre 9 et 10 g/personne/jour) selon les recommandations de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments."
Cette fois, les industriels de l’agro-alimentaire peuvent respirer. Depuis 1992, rien n’a donc été fait en France, hormis un catalogue de bonnes intentions, pour faire baisser la consommation de chlorure de sodium. Même si l’étiquetage est un jour obligatoire, les industriels ont d’ores et déjà obtenus qu’il ne mentionnera que le sodium, ce qui revient à minorer considérablement la quantité réelle de sel, qui contient aussi des ions chlorures, et à entretenir la confusion dans les esprits dans la mesure où les autres sels de sodium (citrate, bicarbonate) n'ont pas les effets néfastes du sel. 
Rien n’a donc changé pour les Français, sauf une chose : entre 1990 et 2000, leur consommation individuelle de sel a augmenté. 

                                            

2 commentaires:

  1. J'ai posté un commentaire sur passeportsanté
    Dommage en effet que l'on rétrograde dans ce domaine. Le lobby du sel s'appuie depuis 15 ans sur les déclarations d’un tout petit nombre de scientifiques en ignorant les quelques 40 expertises collectives nationales ou internationales qui depuis 40 ans disent toutes la même chose, à savoir que le sel en excès est un facteur de risque de l’hypertension et des maladies cardiovasculaires. L’objectif est de maintenir l’illusion qu’il existe un débat scientifique et qu’il n’y a pas de consensus sur le sujet. Il existe un délit en droit français qui s’appelle la tromperie aggravée : c’est le fait d’exposer quelqu’un à un risque avéré à son insu. Ça semble être le cas pour tous les produits alimentaires surchargés en sel, sucre ou acides gras trans sans aucun étiquetage prévenant les consommateurs des dangers encourus en cas de surconsommation chronique.

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  2. J'ai tendance à saler plus qu'il ne faut peut-être et cet article me motive à veiller aux grains...de sel.
    Difficile de faire marche arrière. Merci pour ces conseils que beaucoup veulent ignorer.

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